Une mort prématurée
« Cette perte n’a point été subite comme celle de Cuvier, inattendue comme celle de Champollion… le mal cruel et opiniatre dont Rémusat était atteint la faisait présager… »
le Baron Walckenaer aux obsèques d’Abel-Rémusat, 5 juin 1832.
L’année 1832 allait voir disparaitre quelques-uns des principaux acteurs de la renaissance des études orientales : Champollion pour l’Egypte, emporté par une attaque, Chézy pour le sanscrit et Saint-Martin pour l’arménien, victimes de la terrible épidémie de choléra. Abel-Rémusat mourut pendant l’épidémie mais d’une maladie (cancer?) dont il souffrait depuis plusieurs années. « Dans les derniers jours d’une maladie dont il prévoyait l’inévitable issue, il s’occupa avec calme, et avec une entière présence d’esprit, à mettre ordre à ses affaires personnelles, et à régler l’usage qui devait être fait de ses travaux manuscrits; et le 2 juin 1832, il expira entre les bras de Mme Rémusat… » Silvestre de Sacy – Eloge funèbre à l’Académie des Inscriptions et belles-Lettres.

Les obsèques furent célébrées le 5 juin, avant le départ pour le cimetière de St Fargeau : »après avoir rendu à celui que nous pleurons les pieux devoirs que la religion réclamait de nous, arrêtons un instant la marche de ce char funèbre avant qu’il n’emporte loin de cette grande cité les restes d’Abel-Rémusat, pour être placés près de ceux d’une mère dont la perte abrégea sa vie.. »Baron Walckenaer

Le lendemain, le corps d’Abel-Rémusat est inhumé dans le petit cimetière qui entoure alors l’église de Saint Fargeau, près de sa mère. Le 9 août, Jenny, son épouse, écrit de Paris aux membres du conseil de la commune : « Je vous prie de bien vouloir m’accorder la concession à perpétuité d’un petit terrain de dix pieds carrés, dans le cimetière de St Fargeau, pour y établir à mes frais un monument en mémoire de feu, Mr Abel-Rémusat, mon mari… »

Après transmission au Préfet puis au Ministère,le 6 décembre 1832 « Louis-Philippe, Roi des Français, autorise la commune de St Fargeau à concéder à Madame veuve Rémusat, moyennant la somme de 100 francs au profit de la commune et 50 francs en faveur des pauvres, un terrain contenant 3 mètres 25 centimètres carrés, à prendre dans le cimetière de St Fargeau, pour une sépulture particulière ». Les deux stèles construites alors sont restées en place lors du déménagement du cimetière en 1877.

 CI GIT
J.P ABEL RÉMUSAT
MEMBRE DE L’INSTITUT
PROFESSEUR DE LANGUE
ET DE LITTÉRATURE CHINOISE
AU COLLÈGE DE FRANCE ETC.
NÉ A PARIS LE 5 SEPTEMBRE 1788
MORT A PARIS LE 3 JUIN 1832

GÉNIE PROFOND , SAVANT INGÉNIEUX ,
 ÉCRIVAIN ÉLÉGANT
SA MORT EST UN DEUIL ÉTERNEL
POUR LES LETTRES ET LES SCIENCES.
TENDRE FILS, IL AVAIT PRESSENTI
QU’IL SUIVRAIT DE PRÈS AU TOMBEAU
SA MÈRE ADORÉE.
TENDRE ÉPOUX ,IL EST ALLÉ
DANS UN MONDE PLUS DIGNE DE LUI
ATTENDRE L’AMIE INCONSOLABLE QUI LE PLEURE

Il mourut très pieusement et après avoir rempli tous ses devoirs de religion ». Cette affirmation d’un biographe (Michaud, Biogr.Univ.) ne correspond guère à l’esprit de l’épitaphe, sans autre référence religieuse qu’une vague affirmation d’un au-delà plus digne de lui. En bon héritier des Lumières, Abel-Rémusat, que Baudelaire, citant Villemain, traite d’orientaliste ingénieux et sceptique, écrivait :  » sans plaisanterie, je crois fermement à un Dieu infini et non-matière. Quant aux autres dogmes, je suis toujours dans un état de scepticisme parfait. Que ce Dieu soit bon, qu’il soit même juste, qu’il y ait une âme, qu’elle soit immortelle, j’ignore parfaitement tout cela ».
Lettre à son ami Jeandet le 27 novembre 1808. B.N manuscrits -Nouvelles acquisitions française 6518 n° 42.