1829 – Des Chinois à Paris !

 

Dans les Nouveaux mélanges asiatiques, Abel-Rémusat fait le compte (sur les doigts d’une seule main!) des Chinois qui sont venus en France: deux, « lettrés », en 1687 et 1717 et trois depuis la Révolution, sachant à peine lire. Le dernier, Kiang-Hiao, « dont on voulait faire le directeur d’une plantation de thé à Cayenne…ne parlait pas la langue mandarine et ne connaissait que la patois de son pays…». Abel-Rémusat, qui a souvent la dent dure et la langue acérée, ajoute « Attendre des renseignements historiques ou littéraires d’un homme de cette espèce, c’est comme si, à la Chine, on voulait tirer quelques lumières sur l’Histoire de France, ou la littérature grecque ou latine, de quelque bas-breton…qui ne saurait parler que la langue de Cornouailles ».

Portrait de Kiang-Hiao par Delaval

La lecture des journaux,d’après Boilly, 1825.

Lorsqu’en 1829, quatre séminaristes chinois viennent terminer leurs études aux Missions Etrangères de Paris, c’est l’évènement de l’année, comme la girafe deux ans plus tôt!. Deux questions sont sur toutes les lèvres «comment peut-on être chinois? » mais aussi «M. Abel-Rémusat connait-il vraiment le chinois? ». Une rencontre est organisée le 12 mai à la Bibliothèque Royale, longuement décrite dans le Moniteur Universel des 29 et 30 mai. «Cette circonstance, annoncée dans plusieurs feuilles quotidiennes, avait augmenté la curiosité et augmenté la foule dans laquelle on remarquait des savants, des artistes, des dames élégantes, et même plusieurs rédacteurs de petits journaux poussés sans doute par leur incrédulité…» 

Ils sont reçus par Abel-Rémusat entouré de ses élèves: «…une personne qui n’a étudié le chinois que dans les livres…ne pourrait jamais saisir une phrase de la langue. Mais qu’il lui soit permis de prendre le pinceau, elle peut s’entendre avec un Chinois aussi aisément que nous le ferions, la plume à la main, avec un sourd-muet instruit. C’est ce qu’a fait M. Abel-Rémusat…en conversant avec les quatre chinois, avec une élégance et un bonheur d’expression qui, même en Chine, décèlerait un lettré de première classe, ou un membre de l’Académie. M.Abel-Rémusat, jaloux de propager en France le goût de cette littérature, encore neuve et inxplorée, forme tous les jours, dans son cours public du collège de France, un grand nombre d’élèves qui n’ont d’autre ambition que de marcher, quoique de loin, sur ses traces…» Il fait intervenir le meilleur d’entre eux (qui lui succédera) Stanislas Julien. Celui-ci invite Joseph Li «à écrire quelques mots pour une jeune dame élégamment parée qui se trouvait près de lui ». Notre séminariste, qui a bien appris sa leçon mais ne semble pas manquer d’humour «trace deux vers dont voici le sens Nous possédons en nous-même mille dehors inestimables; la justice et la vertu sont plus précieuses que de riches parures et des monceaux d’or».

La nouvelle est reprise dans tous les journaux du temps et, en particulier, dans l’Universel, un nouveau journal dont il était l’un des fondateurs : M. Abel-Rémusat connaît bien le chinois !

Au début du XIX° siècle, la connaissance du bouddhisme repose encore sur les récits des voyageurs du moyen-âge ou des Jésuites. On sait qu’il est venu de l’Inde en Chine mais Fo ou Bouddha est un personnage mythique dont l’existence est mise en doute ou entourée de légendes difficiles à vaincre (voir p.e la Note sur quelques épithètes descriptives de Bouddha, qui font voir qu’il n’appartenait pas à la race nègre de 1811 ! ). Cependant le sanscrit et le pali commencent à être déchiffrés et les Ecritures bouddhistes à parler. Pour sa part, Abel-Rémusat, s’appuyant sur les sources chinoises auxquelles il a accès, s’attache à inscrire le Bouddha historique dans le temps et dans l’espace. En 1821, il s’attaque à La succession des 33 premiers patriarches de la religion de Bouddha et, deux ans plus tard, à des Recherches chronologiques sur l’origine de la hiérarchie lamaïque. Mais « son oeuvre la plus considérable et la moins vieillie est Foé koué kif ou Relation des royaumes bouddhiques » (P. Demiéville), récemment réédité en Inde dans sa traduction anglaise: The pilgrimage of Fa-Hian.

« Aucun lieu n’est impénétrable pour quiconque est animé d’une foi sincère. Fa-hian »

 Fa Hian

Le Bouddhisme, né dans le bassin du Gange, gagna vers le III° siècle av.J.C. l’Afghanistan actuel (Gandhara). Il se propagea ensuite vers l’est le long de la Route de la Soie, pour atteindre finalement la Chine au premier siècle de l’ère chrétienne. Trois siècles plus tard, un moine chinois, Fa Hian (Fa Hsien, Fa Xian), entama en 399 un extraordinaire voyage vers les lieux saints du bouddhisme indien. Parti de son monastère de Ch’ang-gan, dans le nord de la Chine, il traverse les déserts de Gobi et du Takla Makan et, par les hautes passes du Pamir, atteint l’Afghanistan actuel avant de redescendre sur le Cachemire. (carte). Il atteint enfin la vallée du Gange, après plus d’un an de voyage. Pendant une douzaine d’années, il visite les communautés bouddhistes, recueillant récits et légendes de la vie du Bouddha et surtout de précieux manuscrits sanscrits des Ecritures. Il gagne ensuite Ceylan, le Sri-Lanka actuel, puis regagne son pays par mer après 14 ans d’aventures. Les traductions des sutras et livres de préceptes qu’il avait ramenés inspirèrent pendant des siècles le monachisme chinois.

Le récit de son voyage est un précieux témoignage sur la Route de la Soie et le bouddhisme primitif. Il l’était d’autant plus à l’époque d’Abel-Rémusat alors que les textes indiens étaient encore très mal connus.

Foe Koue Ki ou Relation des royaumes bouddhiques : voyage dans la Tartarie, l’Afghanistan et dans l’Inde exécuté à la fin du IV° siècle par Chy Fan Hian.

Traduit du chinois et commenté par M. Abel-Rémusat. Ouvrage posthume revu, complété et augmenté d’éclaircissements nouveaux par M.M. Klaproth et Landresse. Paris : Imprimerie Royale MDCCCXXXVI

MASTER FA HSIEN un excellent résumé, en anglais, du voyage de Fa Hsien, auquel je me suis permis d’emprunter les deux vignettes ci-dessus.